"Si c’était un prestige..."
"Le neveu : Il reste encore pour moi des choses douteuses sur la nature des eaux. Dans le passé, comme tu le sais, nous sommes allés voir une vieille faiseuse de prestiges (anum prestigiosam) pour étudier les incantations (studio incantationis) et nous sommes restés chez elle pendant quelques jours, nous frottant aux opinions – peut-être devrais-je dire aux épines – de la vieille femme. Dans cette maison, une sorte de récipient au pouvoir merveilleux était apporté au moment des repas. Ce récipient était percé de nombreux trous, au-dessus et en-dessous, et après que l’eau eut été versée dedans pour se laver les mains, lorsque le serviteur chargé de l’eau bouchait les trous supérieurs avec son pouce, aucune eau ne s’échappait des trous inférieurs ; et lorsqu’il retirait son pouce des trous supérieurs, l’eau se répandait immédiatement par les trous inférieurs sur nous qui nous tenions autour du récipient. Moi, pensant que c’était un prestige, je dis : « si la vieille dame est une incantatrice (incantatrix), qu’y a-t-il d’étonnant à ce que son serviteur nous montre des merveilles ? » Mais toi qui étudiais les incantations (incantationibus studiosus eras), tu jugeas que la chose n’était pas du tout digne d’attention. Et à présent, que penses-tu de cette eau ? Les trous inférieurs étaient toujours ouverts, et pourtant rien ne sortait sans que le décide le serviteur chargé de l’eau.
Adélard : Si c’était un prestige, l’incantation était lancée par la force de la nature, plutôt que par celle du serviteur chargé de l’eau. Quatre éléments composent en effet le corps de ce monde. Ils peuvent être perçus par les sens, mais ils sont liés entre eux par un tel amour naturel qu’aucun d’entre eux ne veut vivre sans l’autre et qu’aucun lieu n’est ou ne peut être vide d’eux. C’est pourquoi lorsqu’il arrive que l’un d’entre eux quitte sa place, aussitôt un autre lui succède sans aucun intervalle. Aucun d’entre eux ne peut non plus quitter sa place sans qu’un autre qui le désire par une sorte d’amour substantiel puisse lui succéder. Si, par conséquent, l’entrée est fermée pour le successeur, la sortie sera ouverte en vain pour l’élément sortant par-dessous. Du fait de ce désir, de cette espérance, tu ouvriras la sortie de cette eau inutilement jusqu’à ce que tu disposes une entrée pour l’air. Car ces éléments, comme on l’a dit plus haut, parce qu’ils ne sont pas purs, sont joints de telle façon qu’ils ne peuvent vivre ni ne refusent d’exister l’un sans l’autre. C’est la raison pour laquelle il arrive que dans un récipient qui n’a aucune ouverture à son sommet le liquide ne peut pas sortir, sauf d’une manière intermittente et avec une sorte de gargouillement, car il entre autant d’air qu’il sort de liquide. Et étant donné que l’air rencontre une eau elle-même poreuse, lorsqu’il pénètre l’eau en nageant avec finesse et légèreté, il occupe la partie supérieure du récipient qui semble vide."
Boudet, Entre science et nigromance.
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