Trois ekphrasis (à imprimer)

Trois ekphrasis tirées de la Chronique de l'Anonyme romain.

La première :

«Un autre jour, ledit Cola exhorta les gouverneurs et le peuple à bien agir grâce à une allégorie qu’il fit peindre sur le palais du Capitole devant le marché. Sur le mur de dehors, au-dessus de la Chambre, il fit représenter une très grande mer avec des vagues horribles, fortement agitées. Au milieu de cette mer se trouvait un navire presque entièrement submergé, sans timon, sans voiles. Dans ce navire sur le point de chavirer se tenait une veuve vêtue de noir, ceinte d’une cordelière de deuil, la robe déchirée à la poitrine, les cheveux dénoués, comme si elle voulait pleurer. Elle était agenouillée et croisait ses mains fermées sur sa poitrine en signe de piété, comme pour prier que le danger s’éloignât. Au-dessus de la peinture une inscription disait : « Voilà Rome. » Autour de ce navire, dans la partie inférieure, se trouvaient quatre navires qui avaient sombré après que leurs voiles furent tombées, leurs mâts cassés, leurs timons perdus. Dans chacun de ces navires gisait une femme morte noyée. La première s’appelait Babylone, la deuxième Carthage, la troisième Troie et la quatrième Jérusalem. Au-dessus, une inscription disait :


« À cause de l’injustice, ces cités périrent et disparurent. »


Au milieu de ces femmes mortes on remarquait une inscription qui disait :


« Tu fus au-dessus de toute seigneurie.


Aujourd’hui nous attendons ici ta ruine. »


Sur le côté gauche il y avait deux îles. Sur la petite se tenait assise une femme honteuse et l’inscription disait :


« Voici l’Italie. »


Cette femme parlait et disait :


« Tu privas de pouvoir toutes les terres


Et moi seule tu considéras comme ta sœur. »


Dans l’autre île se trouvaient quatre femmes qui serraient leurs joues entre leurs mains et qui, à genoux, dans une attitude de grande tristesse, disaient :


« Tu fus accompagnée de toutes les vertus.


Aujourd’hui tu es abandonnée en pleine mer. »


C’étaient les quatre vertus cardinales, c’est-à-dire la tempérance, la justice, la prudence et la force d’âme. Dans la partie droite se trouvait un îlot. Sur cet îlot se tenait une femme agenouillée. Elle tendait ses mains vers le ciel dans un geste de prière. Elle était vêtue de blanc. Elle avait pour nom Foi chrétienne et son cri disait ainsi :


« Ô Père suprême, mon guide et mon seigneur,


Si Rome périt, où vais-je aller ? »


Du côté droit de la partie supérieure, il y avait quatre rangées de différents animaux ailés qui tenaient dans leur gueule des cors où ils soufflaient, tels les vents qui font les tempêtes en mer et aident à mettre en péril les navires. Le premier rang était constitué de lions, de loups et d’ours, et l’inscription disait :


« Voici les puissants barons, les gouverneurs scélérats. »


Le deuxième rang était composé de chiens, de porcs et de chevreuils, et l’inscription disait :


« Voici les mauvais conseillers à la solde des nobles. »


Le troisième rang comprenait des béliers, des dragons et des renards, et l’inscription disait :


« Voici les faux officiers, les faux juges, les faux notaires. »


Le quatrième rang était fait de lièvres, de chats, de chèvres et de singes, et l’inscription disait :


« Voici les hommes du peuple, les voleurs, les meurtriers, les adultères et les spoliateurs. »


Dans la partie supérieure s’étendait le ciel. Au milieu se tenait la majesté divine comme si elle était venue pour juger. De chaque coin de sa bouche sortait une épée. De part et d’autre se tenaient saint Pierre et saint Paul en prière. À la vue de l’allégorie, tout le monde s’émerveillait.


Quand Cola di Rienzo écrivait il n’utilisait pas de plume d’oie mais il se servait d’une plume d’argent fin. Il disait que la noblesse de sa charge était telle que la plume devait être d’argent. Peu de temps après, il exhorta le peuple avec un beau sermon en langue vulgaire qu’il prononça à Saint-Jean-de-Latran. Derrière le chœur, sur le mur, il fit accrocher une grande et magnifique plaque de métal gravée de lettres antiques277 que nul ne savait lire ni interpréter, excepté lui seul. Autour de cette plaque il fit peindre des figures montrant comment le Sénat avait accordé l’autorité à l’empereur Vespasien. Là, au milieu de l’église, il fit faire avec des planches une sorte de parloir et des gradins de bois très hauts pour s’asseoir. Il fit placer en guise d’ornements des tapis et des draperies. Et il rassembla nombre de puissants Romains parmi lesquels Stefano Colonna et Giovanni Colonna, son fils, qui était l’un des plus rusés et des plus magnifiques hommes de Rome278. Il y eut aussi de nombreux sages, des juges et des décrétalistes279 et beaucoup d’autres autorités. Cola di Rienzo monta en chaire au milieu de tous ces gens de bien. Il était vêtu d’une garnache, d’une cape allemande et d’un capuchon de fin linon blanc qui couvrait ses joues. Sur sa tête, il portait un chapeau blanc. Des couronnes d’or, dont l’une était partagée en son milieu, faisaient le tour du chapeau. Tout au sommet du chapeau se trouvait une épée d’argent nue dont la pointe transperçait cette couronne et la partageait par le milieu.»

La seconde :

«Derrière le chœur, sur le mur, il fit accrocher une grande et magnifique plaque de métal gravée de lettres antiques277 que nul ne savait lire ni interpréter, excepté lui seul. Autour de cette plaque il fit peindre des figures montrant comment le Sénat avait accordé l’autorité à l’empereur Vespasien.»

La troisième :

«Après cela, il parla d’abord de son ascension, de l’état de la ville et du généreux gouvernement de la façon suivante : il fit peindre sur le mur de Saint-Ange-de-la-Poissonnerie, endroit connu de tout le monde, une image ainsi faite. Dans le coin de la partie gauche il y avait un feu très ardent dont la fumée et la flamme s’allongeaient jusqu’au ciel. Dans ce feu se trouvaient beaucoup d’hommes du peuple et de rois dont quelques-uns semblaient vivants à demi et les autres morts. Dans cette même flamme se tenait aussi une très vieille femme et, à cause de la grande chaleur, les deux tiers de cette vieille femme étaient noircis, le troisième tiers était intact. À droite, dans l’autre coin, il y avait une église avec un clocher très haut. De cette église sortait un ange armé, vêtu de blanc. Sa cape était d’un rouge écarlate. Dans sa main il tenait une épée nue. De sa main gauche il prenait la main de cette vieille femme parce qu’il voulait la libérer du danger. À la hauteur du clocher se tenaient saint Pierre et saint Paul, comme s’ils descendaient du ciel, qui disaient : « Ange, Ange, va au secours de notre hôtesse. » Ensuite, comme s’ils pleuvaient du ciel, étaient peints de nombreux faucons qui tombaient morts dans cette flamme très ardente. Dans les hauteurs du ciel était peinte aussi une belle colombe blanche qui tenait dans son bec une couronne de myrte et qui la donnait à un oiselet de la taille d’un moineau ; puis elle chassait les faucons du ciel. Ce petit oiselet emportait cette couronne et la posait sur la tête de la vieille femme. Sous ces figures il était écrit : « Je vois le temps de la grande justice et déjà tu te tais jusqu’à ce temps280. » Les gens qui confluaient jusqu’à Saint-Ange regardaient ces figures. Beaucoup disaient que tout cela était bien vain et riaient. D’autres disaient : « C’est autre chose que des figures qu’il lui faut, s’il veut redresser l’état de Rome. » D’autres encore disaient : « C’est une grande chose que cela, et d’une grande signification. »


Il parla encore de son ascension par cette voie. Il écrivit un billet qu’il fixa sur la porte de Saint-Georges-au-Vélabre. Le billet disait : « Dans peu de temps les Romains retourneront à leur bon gouvernement antique. » Ce mot fut accroché le premier jour de carême sur la porte de Saint-Georges-au-Vélabre.» 

 

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