Le procès des quinze
Défense du citoyen Louis-Auguste Blanqui devant la cour d'assises
(12 janvier 1832).
Messieurs les jurés,
Je suis accusé d'avoir dit à trente millions de Français, prolétaires comme moi, qu'ils avaient le droit de vivre. Si cela est un crime, il me semble du moins que je ne devrais en répondre qu'à des hommes qui ne fussent point juges et parties dans la question. Or, Messieurs, remarquez bien que le ministère public ne s'est point adressé à votre équité et à votre raison, mais à vos passions et à vos intérêts ; il n'appelle pas votre rigueur sur un acte contraire à la morale et aux lois ; il ne cherche qu'à déchaîner votre vengeance contre ce qu'il vous représente comme une menace à votre existence et à vos propriétés. Je ne suis donc pas devant des juges, mais en présence d'ennemis ; il serait bien inutile dès lors de me défendre. Aussi je suis résigné à toutes les condamnations qui pourraient me frapper, en protestant néanmoins avec énergie contre cette substitution de la violence à la justice, et en me remettant à l'avenir du soin de rendre la force au droit. Toutefois, s'il est de mon devoir, à moi prolétaire, privé de tous les droits de la cité, de décliner la compétence d'un tribunal où ne siègent que des privilégiés qui ne sont point mes pairs, je suis convaincu que vous avez le cœur assez haut placé pour apprécier dignement le rôle que l'honneur vous impose dans une circonstance où on livre en quelque sorte à votre immolation des adversaires désarmés. Quant au nôtre, il est tracé d'avance ; le rôle d'accusateur est le seul qui convienne aux opprimés.
Car il ne faut pas s'imaginer que des hommes investis par surprise et par fraude d'un pouvoir d'un jour pourront à leur gré traîner les patriotes devant leur justice, et nous contraindre, en montrant le glaive, à demander miséricorde pour notre patriotisme. Ne croyez pas que nous venions ici pour nous justifier des délits qu'on nous impute ! bien loin de là, nous nous honorons de l'imputation, et c'est de ce banc même des criminels, où on doit tenir à honneur de s'asseoir aujourd'hui, que nous lancerons nos accusations contre les malheureux qui ont ruiné et déshonoré la France, en attendant que l'ordre naturel soit rétabli dans les rôles pour lesquels sont faits les bancs opposés de cette enceinte, et qu'accusateurs et accusés soient à leur véritable place.
Ce que je vais dire expliquera pourquoi nous avons écrit les lignes incriminées par les gens du roi, et pourquoi nous en écrirons encore.
Le ministère public a, pour ainsi dire, montré en perspective à vos imaginations une révolte des esclaves, afin d'exciter votre haine par la crainte. « Vous voyez, a-t-il dit, c'est la guerre des pauvres contre les riches ; tous ceux qui possèdent sont intéressés à repousser l'invasion. Nous vous amenons vos ennemis ; frappez-les avant qu'ils ne deviennent plus redoutables. »
Oui, Messieurs, ceci est la guerre entre les riches et les pauvres : les riches l'ont ainsi voulu, car ils sont les agresseurs. Seulement ils trouvent mauvais que les pauvres fassent résistance ; ils diraient volontiers, en parlant du peuple : « Cet animal est si féroce qu'il se défend quand on l'attaque. »Toute la philippique de M. l'avocat général peut se résumer dans cette phrase. »
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